Frédéric Wang, professeur des Universités
à l'INALCO
Monsieur Li Jin-Mieung fut directeur de thèse de Le Min Sook, mon épouse, et mon professeur de coréen. Pour évoquer ma rencontre avec lui, il me faut remonter à celle avec Min Sook.
La Corée a été toujours présente dans ma vie depuis 1987, l’année où je suis arrivé en France. J’avais un camarde coréen Monsieur Park qui était sur le point de terminer sa thèse chez Jean-Claude Coquet, notre professeur. Il travaillait sur Le Rivage des Syrtes de Jullien Cracq, devenu l’un de mes auteurs préférés. Monsieur Park était d’une grande sympathie à mon égard. Dans le séminaire de « Sémiotique générale » d’Algirdas Julien Greimas qui se tenait à la Mison d’Amérique latine tous les quinze jours, il y avait d’autres étudiants coréens avec qui nous avons sympathisé. Je crois avoir rencontré pour la première fois Min Sook dans un cours de J.-C. Coquet. Elle préparait son DEA sur Colette sous la direction de Béatrice Didier (ENS, Paris 8) alors que j’ai déjà soutenu ma thèse. Nous fréquentions également le séminaire de sémiotique que J.-C. Coquet co-animait avec Jean Petitot dans les locaux de la Faculté de Théologie, à 83 boulevard Arago, 75014 Paris.
Après un an d’enseignement de littérature française à l’Université de Kyungsung (Busan, entre 1999 et 2000) en qualité de chargée de cours, Min Sook est revenue en France et nous nous sommes installés à Lyon où j’ai commencé ma carrière universitaire à l’ENS Lettres et Sciences humains (devenue aujourd’hui l’ENS de Lyon après fusion avec les scientifiques). L’ENS LSH venait d’être transférée de Fontenay-aux-Roses dans le quartier de Gerland de Lyon et je me rappelle mes premiers pas sur la boue de son jardin qui m’ont fait tressaillir. C’est alors que Min Sook a décidé de faire une nouvelle thèse, cette fois-ci, en études coréennes. Elle a rencontré pour ce faire Monsieur Marc Orange à l’Institut des hautes Études coréennes au Collège de France, dans ses locaux de rue Cardinal Lemoine. J’allais souvent à la bibliothèque de l’Institut des hautes Études chinoises (IHEC) qui se trouve à la même adresse pour préparer ma thèse (aussi la seconde !) sur Wang Tingxiang (1474-1544).
Nous sommes allés à rue Cardinal Lemoine avec notre fille dans sa poussette. C’est le même jour où j’ai revu mon ami philosophe et sémioticien Li Youzheng qui vit aux États-Unis. Comme Min Sook pensait au début travailler sur l’histoire des églises en Corée – elle est même allée se documenter aux archives des Missions étrangères de Paris –, Monsieur Orange lui a conseillé de contacter Monsieur Li Jin-mieung, seul professeur à l’époque en études coréennes aux côtés de Monsieur Alexandre Guillemoz, directeur d’études à l’EHESS. Les premiers contacts avec Monsieur Li furent noués grâce à l’intermédiaire de Monsieur Orange.
Nous vivions, au début de notre arrivée à Lyon, à rue Montbrillant, dans le troisième arrondissement. Monsieur Li y est venu une ou deux fois. Nous avons déménagé en 2003 avant l’arrivée de notre fils en 2004. Pendant sa deuxième grossesse, Min Sook est allée à Paris à la journée doctorale pour présenter l’avancement de sa recherche sur
Le professeur Li Jin-mieung
Kim Dong-ri (1913-1995), son nouveau sujet de thèse. Très satisfait de sa prestation, Monsieur Li l’a longuement encouragée. Il est venu plusieurs fois dans notre appartement de rue Saint Gervais (Lyon, 8e) et ensuite à celui d’avenue Rockefeller. Il venait toujours après ses cours au campus de Manufacture, qui n’était pas loin de rue Saint Gervais. Chez nous, il rencontrait parfois mes collègues qui travaillent sur la Chine ou le Japon. Auparavant, il avait collaboré avec le sinologue et linguiste Maurice Coyaud. Celui-ci était chargé de mission d’inspection générale de chinois au Ministère de l’éducation nationale outre ses fonctions de directeur de recherche au CNRS. Membre du jury de mon premier concours de Capes (1996) auquel j’avais échoué, il est passé m’inspecter lorsque j’étais maître auxiliaire de chinois au Lycée Émile Zola à Rennes, où eut lieu le procès en révision de Dreyfus.
À l’époque, il y avait peu d’étudiants en coréen à Lyon comme ailleurs. Le diplôme de DEUG étant supprimé faute d’effectifs suffisants, Monsieur Li faisait des cours de DU, de LV3 et de formation continue.
Pour compléter son service, il assurait aussi des cours à Paris 7 (Paris Cité aujourd’hui) dans un cadre conventionné. Tous ses doctorants étaient inscrits à Paris 7, car il y était directeur de recherche extérieur en études coréennes à l’école doctorale 131, dirigée pendant de longues années par Julia Kristeva.
Je me rappelle qu’à la demande de Monsieur Li, je suis intervenu une fois pour la formation continue de Lyon 3 qui avait lieu au quai Claude Bernard. J’ai parlé de la nature humaine chez Xunzi, philosophe chinois vivant au 3e siècle avant J.-C. juste avant la fondation de l’empire. Comme il y avait très peu d’étudiants en coréen – les choses allaient radicalement changer entre 2005 et 2006, où il a confié une charge de cours à Min Sook –, Monsieur Li m’a encouragé de m’inscrire dans sa classe de soir. C’est ainsi que j’ai appris le coréen pendant un semestre avec lui et que j’ai pu voir comment il enseignait.
Il suivait fidèlement le polycopié dont il était lui-même l’auteur. Il préparait tous les outils pédagogiques tout seul. On ne peut pas dire qu’il était un grand orateur, mais il était d’une minutie exemplaire. Il prêtait à chacun une grande attention. Quand Min Sook lui donnait des pages de sa thèse, il les lisait et corrigeait très soigneusement, même si la littérature n’était pas a priori son domaine. De même, il la soutenait fermement et avec bienveillance chaque fois qu’elle demandait une dérogation pour la réinscription.
À la récréation ou après cours, il fumait beaucoup à la cour de la Manufacture, mais restait toujours très disponible envers ses étudiants et répondait patiemment à toutes sortes de questions qu’ils posaient. Le peu d’éléments en coréen qui me restent sont dus à son enseignement.
Il louait un studio à Lyon à la rue des Remparts d’Ainay 69002, dans le quartier de rue Victor Hugo, avant de l’acheter. Il a acheté les meubles en taxi. Chaque semaine, Il passait deux ou trois nuits à Lyon car tous ses cours à Lyon 3 étaient programmés vers la fin d’après-midi. Le vendredi, c’était son cours à Paris 7. Il nous a invités à dîner dans un bistro, sa cantine, disait-il, qui se trouvait à quelques pas près de son studio. Quand il a pris sa retraite, il l’a vendu très rapidement et nous a donné son bureau, qui est depuis devenu mon bureau, et sa bibliothèque. Après sa retraite, il a envoyé à Lyon 3 plusieurs cartons de sa grammaire de coréen et de son manuel. Plusieurs promotions d’étudiants de Min Sook en ont profité.
Il me disait souvent qu’il était un homme sans passion. Il voulait dire par-là qu’il avait peu de loisirs. J’ai alors compris que sa passion était le travail, la recherche. Mes collègues de l’Institut d’Asie orientale (IAO), dont il était membre à un moment donné, me disaient qu’il était un « grand bosseur ». Plus fondamentalement, c’était un chercheur discret et assez solitaire. Il touchait à beaucoup de domaines relatifs à la Corée : économie, histoire, géographie, linguistique, littérature folklore… Il connaissait bien le Japon, notamment en ce qui concerne la question économique et géographique. Son ouvrage sur Dokdo, dont la Corée et le Japon se disputent de l’appartenance fait autorité. Son érudition était étonnante. Toutefois, il restait très modeste. Non seulement il avait une bonne maîtrise de japonais, mais aussi il a réalisé en collaboration avec ses deux collègues un Dictionnaire des caractères sino-coréens. Et il s’apprêtait toujours à aider les gens. Lorsque je préparais mon habilitation à Paris 7, je lui ai demandé s’il pouvait me prêter son mémoire de synthèse. Il me l’a immédiatement envoyé.
Monsieur Li a pris sa retraite en 2012.
Depuis, nous ne nous sommes pas souvent revus. Avant la cérémonie à Lyon 3 de la remise des insignes, après sa nomination au grade de chevalier dans l’ordre des Palmes académiques en janvier 2015 à Lyon 3, nous avions la chance de recevoir Madame et Monsieur Li ensemble à la maison. C’est sans doute la dernière fois que nous les avons vus ensemble.
Chaque année autour de Noël ou du nouvel ans, nous lui envoyions une carte postale à laquelle il répondait très vite. Mais la dernière carte était restée sans réponse de sa part, nous nous sommes dits qu’il était soit malade, soit dans sa maison de montagne, à Goseong, qu’il avait fait construire. Mais quelques mois plus tard, il nous a quittés pour de bon. J’ai ainsi perdu un ami, un professeur, mais son souvenir reste à jamais gravé dans mon cœur.
Frédéric Wang, professeur des Universités à l'INALCO
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