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L’engagement des volontaires français pour la guerre de Corée. Par Jean-François Pelletier


Corée -Crêvecoeur (25 mai 2010)


Création du Bataillon Français de l’ONU


Le 27 juin 1950, suite au franchissement du 38° parallèle par les troupes nord-coréennes et à l’invasion de la République de Corée, le Conseil de sécurité de l’ONU recommande « aux membres des Nations unies d’apporter à la République de Corée toute l’aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir dans cette région la paix et la sécurité internationale ». A dater du 1er juillet trente-trois nations soutiennent la décision du Conseil de sécurité et déjà la Grande Bretagne, l’Australie et les Pays-Bas ont promis une aide militaire. Cependant, à la mi-juillet, face à l’indifférence générale des membres de l’ONU, un effort conséquent est demandé.


La France fait alors remarquer qu’elle se bat déjà en Indochine, de manière solitaire, contre l’invasion vietminh. Pour autant elle décide d’envoyer un navire de guerre, l’aviso colonial « La Grandière » alors en mission dans les eaux d’Indochine. Mais cette participation n’est pas suffisante pour l’ONU. Aussi, et afin de conserver à la France son crédit international, le 22 juillet 1950, le Conseil des Ministres décide l’envoi d’un bataillon en Corée. Peu de temps après, le 24 août 1950, le président du conseil René Pleven annonce qu’il va envoyer un bataillon en Corée sous les ordres du général de Corps d’Armée Ralph Monclar (1) qui s’est porté volontaire. Le ministre des Affaires Etrangères Robert Schuman écrit au secrétaire général de l’ONU et précise que, malgré sa situation actuelle en Indochine, la France a décidé de « s’associer à l’extrême limite de ses moyens actuels à la lutte menée contre une agression condamnée par le Conseil de sécurité ». Cependant le gouvernement français est confronté à un double problème, d’une part à ses engagements NATO (2) en Europe qui l’empêchent de dégarnir sa participation, mais également en Indochine où planent des menaces sur le Tonkin. De fait la France ne peut se départir de la moindre unité et ne peut par ailleurs envisager d’envoyer le contingent en Corée pour des raisons de politique intérieure. C’est alors le ministre de la Défense Jules Moch qui émet l’idée d’envoyer en Corée un bataillon de volontaires. La proposition est retenue et votée par les députés à l’exception bien évidemment des voix communistes. Le 23 août 1950 est créé le Bataillon Français de l’ONU (BF/ONU) qui sera constitué uniquement de volontaires destinés à servir sous les couleurs de l’Organisation des Nations Unies. Pour les réservistes (3) l’appel au volontariat est lancé dans la presse et par affiches placardées dans les lieux publics, les casernes et les gendarmeries ainsi qu’à la radio. Pour les engagés, militaires de l’active (4), ils sont avisés par l’envoi d’un télégramme officiel dans les unités.


Paris (13 octobre 2009)


Le principe même du volontariat donne à tous l’occasion de postuler, réservistes comme militaires de l’active. Au sein de l’Armée les volontaires sont nombreux mais les chefs de Corps rechignent à voir partir les meilleurs de leurs hommes et s’opposent fréquemment aux candidatures. De fait, au BF/ONU, pour ce qui est des volontaires de l’active, ceux-ci constitueront 50% des officiers, 70% des sous-officiers et seulement 10% des hommes du rang.

Pour le reste, il est fait appel à la réserve et c’est plusieurs milliers de volontaires qui se portent rapidement candidats à l’aventure (5). Ceux-ci sont avisés que la durée d’engagement est valable pour la durée de la guerre et aucune information sur le montant de la solde ne leur est communiqué car il est pour l’instant ignoré. Le regroupement de l’unité débute à compter du 1er septembre au camp d’Auvours dans la Sarthe. Afin de pouvoir être rapidement intégré au sein d’une unité américaine dès son arrivée en Corée, le bataillon est formé sur le type US. Le bataillon se compose d’une compagnie de commandement (C.C.B.), de trois compagnies de fusiliers voltigeurs (1ère Cie, 2ème Cie et 3ème Cie) et d’une compagnie d’accompagnement (C.A.) regroupant les armes lourdes. A la 1ère compagnie de fusiliers voltigeurs sontnt regroupés principalement les anciens des troupes coloniales, à la 2ème compagnie les métropolitains alors que les parachutistes et quelques anciens légionnaires se retrouvent à la 3ème compagnie. Après le départ du premier contingent pour la Corée, une maintenance est prévue pour assurer le premier élément de renfort du bataillon. Par la suite, et durant toute la durée du conflit, plusieurs détachements de renfort à effectifs variables seront envoyés en Corée afin de relever les contingents et combler, très imparfaitement, les pertes subies (6).


Paris (10 octobre 2008)


Les volontaires du Bataillon Français de l’ONU




Ces volontaires pour partir combattre en Corée étaient issus de toutes les couches sociales, toutes les professions étaient représentées. Des commerçants, des ouvriers agricoles, des avocats, des artistes de music-hall, des artisans, des étudiants, des chefs d’entreprise, des représentants de commerce, des instituteurs, des professeurs, des médecins, des ingénieurs, etc.

L’ensemble représentatif de la population française se retrouvait pour la première fois sous une même bannière depuis la fin de la guerre. Les origines sociales les plus improbables se mélangeaient. Dans l’aventure humaine qui s’annonçait, le fils de famille allait bientôt partager son trou de combat avec l’orphelin engagé pour échapper à sa misérable condition dans l’Assistance Publique. Le rentier aisé allait partager sa ration de combat avec le chômeur oublié, le chef d’entreprise allait partir en permission à Tokyo avec un ouvrier d’usine. De même l’âge de ces hommes variait entre à peine 18 ans pour les plus jeunes à parfois plus de 45 ans pour les plus âgés.


Une question revient souvent lorsqu’on parle de ces volontaires : quelle était leur motivation ? Indéniablement, pour les premiers volontaires, ceux partis en 1950 sur l’Athos II et ceux des détachements de renforts partis en 1951 (DR 1 à DR 5), le ciment commun était un solide anticommunisme. Par la suite, eu égard aux conditions climatiques extrêmes et à la férocité des combats, les candidats de la réserve deviennent moins nombreux à se présenter dans les bureaux de recrutement, ce qui oblige l’Armée à envoyer en Corée un peu plus d’engagés de l’active, ceux-ci étant tout de même des volontaires candidats pour l’Extrême-Orient (l’Indochine).


Si cette motivation politique, idéal de croisade, est bien la première motivation des volontaires, parfois d’autres raisons ont également poussé certains à s’engager sous les couleurs de l’ONU. Le goût pour l’aventure ou la soif d’horizons nouveaux a guidé des hommes las d’une vie sans surprise, pour d’autres c’est une déception amoureuse qui a motivé cet engagement, ou encore toute autre motivation personnelle qui demeurera secrète.




En fait chaque engagement relève d’une raison bien personnelle. Il fallait un homme comme le général Monclar, modelé par la Légion-Etrangère, pour recruter, comprendre et commander de tels destins. Un volontaire est consentant, libre, audacieux et tenace. Il est bien évidemment courageux, tout en restant un homme avec ses défaillances possibles, mais il est surtout frondeur. En choisissant ses hommes le général Monclar était conscient du risque qu’il prenait de représenter la France dans une telle aventure au travers d’un bataillon regroupant autant de caractères divers. La suite va cependant démontrer que cette unité, si hétéroclite au départ, va rapidement se transformer en une unité d’élite, inébranlable au feu, ne reculant jamais, où les actes d’héroïsme individuels feront la gloire de tous. Lorsque le 11 novembre 1951, à la veille de monter sur « Crèvecœur », le général Monclar dit à ses hommes « Vous êtes montés trop haut pour redescendre. Prisonniers de votre passé, vous vous êtes condamnés vous-mêmes aux travaux forcés de la Gloire » il sait qu’il ne s’est pas trompé dans ses choix. Individuellement, certes, ces volontaires pouvaient passer pour des hommes ordinaires, mais ensemble, par-delà leurs différences, ils allaient écrire une page de gloire inégalée dans l’Armée française.



La sélection des volontaires


Selon l’opinion des journaux de l’époque, ou plus précisément selon la volonté de faire du sensationnel, ces volontaires sont soit des mercenaires ou encore un ramassis de repris de justice sans foi ni loi ou, pour d’autres, plus rares à l’époque, des croisés. Un journaliste américain y voit même une « nouvelle légion étrangère au service de l’impérialisme, mêlée à une horde sauvage de cinquante Nord Africains ». En fait les conditions de recrutement sont très sélectives pour prétendre intégrer cette unité chargée de représenter la France au sein des troupes de l’ONU. La sélection est assujettie à une enquête de la sécurité militaire qui a en charge de déceler les éventuels indésirables, inévitables candidats à l’oubli pour différentes raisons.


Le Commandant Olivier Le Mire qui sera à la tête de ces hommes jusqu’à la moitié de l’année 1951 est certainement le plus apte pour parler d’eux : « Naturellement il se présente, comme toujours, quelques hommes ayant subi une ou plusieurs condamnations. Les dossiers sont soigneusement épluchés, l’avis de la gendarmerie et de la mairie est demandé par téléphone, par télégramme. Après élimination quelques-uns se révèlent être des cas intéressants nous les gardons. Ils savent à quoi s’en tenir : à la première faute grave ils seront renvoyés ».






Le général Monclar a fait sa carrière dans la Légion Etrangère et il sait reconnaître la valeur d’un homme tout en se montrant intransigeant. Les volontaires sont très nombreux et nombre d’entre eux, à leur grande déception, voient leur candidature refusée. Ce qui motive l’engagement n’est pas la prime, comme cela a parfois été avancé à tort, car les volontaires pour la Corée ignorent totalement le montant de la prime d’engagement, comme ils ignorent d’ailleurs le montant de leur solde.

Pour s’en convaincre il suffit de prendre connaissance de la date inscrite sur le décret (7) qui fixe la rémunération des militaires en service au BF/ONU, à savoir le 21 octobre 1950, soit quelques jours seulement avant leur embarquement à Marseille. Le volontaire s’engage donc sans connaître le montant de la solde qui va lui être allouée pour risquer sa vie à l’autre bout du monde, en défendant un peuple qu’il ne connaît pas et dans un pays dont il ignore bien souvent la situation géographique exacte. Lorsqu’ils en prendront connaissance sur le bateau, les volontaires découvriront que la solde est alignée sur celle des troupes qui servent en Indochine et que le montant de la prime s’élève à cinq mille francs, en fait une misère quand on la compare au salaire moyen d’un ouvrier de l’époque : dix mille francs.


Le vendredi 13 octobre 1950, quelques jours avant leur départ pour la Corée, le secrétaire d’état aux forces armées « Guerre » Max Lejeune rend visite aux premiers volontaires du BF/ONU au camp d’Auvours et leur adresse ces quelques mots : « Vous êtes les volontaires du Bataillon Français mis à la disposition de l’Organisation des Nations Unies. Vous étiez sans peur, nous avons voulu que vous fussiez sans reproche. Aujourd’hui la mission qui vous est impartie est de la plus haute confiance, vous représenterez demain la France à l’intérieur d’une force armée internationale qui veut faire respecter le droit par le jeu de la sécurité collective ».


Les quatre citations à l’ordre de l’armée française, les trois citations présidentielles américaines, les deux citations présidentielles coréennes et le droit au port de la fourragère aux couleurs de la croix de Guerre attestent de la valeur de ces volontaires.



<= (photo) Corée - Busan (28 mai 2010)

Jean-François Pelletier








(1) Personnage d’exception, ce soldat a gagné ses étoiles de général et ses nombreuses décorations au feu. Depuis la Première Guerre mondiale, il est de tous les combats, sur tous les fronts. Sa carrière, il l’a faite à la Légion Etrangère où il avait tenté de s’engager à quinze ans et demi mais il avait été renvoyé à sa mère. A son arrivée en Corée, le général Monclar décide de s’intégrer dans le dispositif du bataillon placé sous les ordres du commandant Le Mire. Pour ce faire il retire ses galons de général et les remplace par des galons de lieutenant-colonel.

(2) NATO (North Atlantic Treaty Organization) – En français OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord). Il s’agit d’une alliance militaire défensive contre toute attaque armée contre l'un de ses membres en Europe, en Amérique du Nord ou dans la région de l'Atlantique Nord au nord du tropique du Cancer. La mise en place de ce traité signé le 4 avril 1949 impose à la France une participation militaire.

(3) Réserviste : A l’époque, en France, l’armée avait recours à la conscription. De fait tous les citoyens appelés sous les drapeaux pour effectuer leur service militaire obligatoire constituaient à l’issue de leur temps de service la « réserve ». Par cette obligation légale, en cas de nécessité, ils étaient susceptibles d'être mobilisés en fonction de leur tranche d’âge. Dans le cadre de la création du BF/ONU, il est proposé à ces hommes ayant une expérience militaire de s’engager pour la durée de la guerre en Corée.

(4) Militaire de l’active : Se dit d’un citoyen engagé volontaire dans l’armée pour une durée déterminée.

(5) Le 13 septembre 1950, soit à peine trois semaines après l’annonce officielle de la création du BF/ONU, la Légation de Corée en France écrit au général Monclar : « J’ai l’honneur de vous faire savoir que j’ai reçu environ vingt mille demandes d’engagements pour la Corée ».

(6) De novembre 1950 à juillet 1953, ce sont quinze détachements de renfort (DR1 à DR15) qui viendront compléter et remplacer par roulement les effectifs initiaux des premiers volontaires du BF/ONU embarqués en octobre 1950 sur le navire « Athos II ». En tout 3668 volontaires français mettront le pied en Corée, certains d’entre eux y effectuant deux séjours.

(7) Décret n° 00-1331 du 21 octobre 1950

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